Runner games et frustration
- Tout est question de timing
- Créer l’impression d’un challenge surmontable
- Comment permettre au joueur d’anticiper sa trajectoire
- Combiner lancement du jeu et didacticiel
- Conclusion
Depuis quelques jours, un petit jeu du nom de Flappy Bird fait parler de lui, en bien ou en mal. Ce jeu au concept très simple m’a rappelé en fait non pas un, mais plusieurs titres antérieurs. Profitons de ce Buzz pour faire le point sur quelques aspects d’ergonomie des “one button games arcade” et runners du genre.
Tout est question de timing
Quel que soit l’opus que l’on regarde, de Tiny Wings à Super Robot Unicorn Attack, en passant par MushBoom, les runners games sont finalement une évolution du Platformer classique : le coeur du gameplay de ces jeux repose sur la même mécanique qu’un Mario, et à plus forte raison qu’un Pitfall! ou un Hunchback.
Le coeur du jeu, vous l’aurez deviné, est de sauter avec le bon timing, au pixel près, en maitrisant la hauteur et longueur de son saut à la perfection sous peine de mort. Les runners subliment ce gameplay en laissant le joueur se concentrer totalement sur son coeur : le déplacement automatique laisse le joueur se concentrer sur l’évitement des obstacles.
Créer l’impression d’un challenge surmontable
Afin de challenger au joueur, tout en lui permettant de progresser, il a besoin de disposer de suffisamment d’information pour choisir sa trajectoire, que ce soit par anticipation, par réflexe ou par apprentissage. Sur ce genre de jeux, la principale frustration est donc liée à l’impossibilité d’anticiper les obstacles.
Généralement, les causes de cette frustration sont les suivantes :
- Le joueur prend conscience de l’obstacle à venir après le point de non retour, c’est à dire au moment critique après lequel il lui devient impossible de corriger sa trajectoire
- L’obstacle est vu trop tard à cause de sa position dans le niveau
- L’obstacle est occulté soit par un élément de décors, soit parce qu’il sort du viewport. Ce manque de visibilité peut être temporaire, selon que l’obstacle soit en mouvement ou fixe.
Comment permettre au joueur d’anticiper sa trajectoire
Tiny Wings est un bon exemple qui donne au joueur les moyens de surmonter le challenge posé par le jeu, tout en incrémentant progressivement la difficulté :
- Le joueur est en capacité de réagir aux obstacles : il voit le prochain obstacle avant le moment critique après lequel il lui sera impossible de corriger sa trajectoire.
- Il a la possibilité de voir plusieurs obstacles : pendant qu’il passe le premier, il peut planifier la suite de son déplacement pour optimiser sa trajectoire.
- Plus le joueur va vite, plus il a besoin de planifier ses inputs rapidement : selon sa vitesse, il a besoin de voir plus ou moins loin devant lui pour avoir le temps de réagir
Alternativement, des éléments peuvent guider le joueur pour le placer tour à tour sur le bon trajet, ou au contraire, l’attirer dans un piège. Il s’agit en particulier des éléments à collectionner : pièces, boutons, champignons… Par exemple, dans le screenshot suivant de Mushboom, le joueur est contraint sur un chemin de plus en plus restreint par la présence d’obstacles, ici d’ennemis, mais il est récompensé par des points lorsqu’il passe entre les deux de façon optimale.
Notez que dans les exemples précédents, les niveaux sont générés de façon procédurale. Le joueur peut apprendre des ensembles de blocs du niveau, mais ils ne sont pas toujours présentés dans le même ordre ou avec les mêmes combinaisons. Le joueur doit donc jongler entre reconnaissance de patterns, réflexes et planification. Par exemple, pour traverser ce gouffre, plutôt utiliser un Boost pour passer dans l’arc en ciel, que sauter, ce qui aurait pour effet de passer par dessus.
Et si je veux faire un jeu plus difficile, le joueur peut-il se passer de ces aides ?
Ces recommandations concernent les niveaux générés de façon procédurale. Leur absence force le joueur à progresser par essai et erreurs. Ce mode de fonctionnement peut devenir très addictif et jouissif, si ce n’est légèrement crispant, comme on a pu le voir avec des jeux comme Super Meat Boy.
Dans Super Meat Boy, le joueur est confronté à une difficulté particulièrement élevée. Le joueur est aidé dans son apprentissage par essai et erreur par deux aspects du jeu :
-
Le niveau est fixe, les timings peuvent donc être réalisés “au feeling”, par un apprentissage basé fortement sur la proprioception, par répétition d’une séquence de gestes prédéfinie.
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Les traces visuelles des échecs précédents du joueur l’informent sur ses erreurs précédentes et lui permettent de s’appuyer dessus pour ajuster et réguler son activité, soit ses timings.
Un niveau de Super Meat Boy ne prend qu’une trentaine de secondes à compléter de bout en bout, sur un parcours sans erreurs. A l’issue de chaque niveau, l’utilisateur jouit d’une sensation de contrôle particulièrement forte.
Cet apprentissage n’est toutefois pas possible dans le cadre d’un LD procédural, ce qui rend l’expérience de Flappy Bird particulièrement frustrante : l’information mise à disposition du joueur est insuffisante à la fois pour planifier sa trajectoire, et pour apprendre par essai et erreur, puisqu’il peut être surpris par le level design aléatoire.
Combiner lancement du jeu et didacticiel
Alors, Flappy bird n’est sûrement pas aussi addictif qu’on veut bien le dire, et il sombrera dans l’oubli une fois le Buzz retombé. Il y a bien une chose que je vous conseille cependant de retenir au sujet de ce jeu : Flappy Bird a bien des aspects dont on peut apprendre. En particulier, le lancement du jeu est particulièrement efficace pour présenter la simplicité de l’interaction. Pas besoin de didacticiel, le jeu se déclenche dès que l’utilisateur a réalisé la seule action possible dans le jeu : toucher l’écran pour faire monter l’oiseau.
Le joueur peut alors commencer immédiatement à jouer, et le jeu (ou plutôt, le designer, est assuré que l’utilisateur a compris les contrôles, sans quoi il n’aurait pas pu commencer sa partie. Le tutoriel, présent systématiquement, n’est pour autant pas du tout intrusif.
On retrouve ce concept particulièrement efficace dans Flower, par exemple, dans lequel il faut tourner le contrôleur pour sélectionner le premier niveau dans le menu, puis maintenir une touche pour démarrer le jeu : là aussi, le lancement est déclenché par la compréhension des contrôles qui seront nécessaires pour jouer, plutôt que via une validation par la touche “start”, par exemple.
Conclusion
- Si vous créez un runner game, donnez à vos joueurs les moyens d’anticiper un minimum leur parcours, par exemple, en adaptant le niveau de zoom à leur vitesse de déplacement.
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A défaut de voir les obstacles suffisamment tôt, ajoutez des items à ramasser qui les guideront lorsqu’ils ne sont pas en mesure de voir les obstacles se profiler à l’avance.
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Faites particulièrement attention à ces aspects si vous générez aléatoirement vos niveaux, car l’utilisateur n’aura pas la possibilité d’apprendre un pattern immuable par répétition.
- Enfin, dans la mesure où votre jeu est suffisamment simple, favorisez l’utilisation des contrôles qui sont nécessaires à la progression dans le jeu pour lancer la partie.
Et vous, quelles sont les bonnes et mauvaises pratiques que vous avez observé dans ce genre de jeux, et quel est leur impact sur l’expérience de jeu ? Quels sont les éléments qui peuvent rendre ces jeux plus addictifs ? Quels sont les meilleurs exemples qui sont sortis à ce jour ?
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