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Réalités Parallèles

Ergonomie et conception de jeu vidéo

Optimisation d'un ERP

  1. Les ERP : revue de littérature
    1. Origine des ERP
    2. Avantages liés à l’utilisation d’un ERP
  2. Les problématiques liées aux ERP
    1. La mise en place
    2. L’usage et l’utilisabilité
    3. Identification et l’accès à la bonne fonctionnalité
    4. Exécution des tâches
    5. Limitation des sorties
    6. Support en cas d’erreur
    7. Terminologie
    8. Complexité globale du système
  3. La (re)naissance d’un ERP
    1. La demande initiale
    2. Existant et travaux antérieurs
  4. Du gameplay dans les marges de manœuvres
    1. Objectifs fixés pour le projet
    2. Améliorer les conditions de travail et la productivité : proposer des modifications concrètes et réalistes
    3. Faire évoluer la demande
    4. Systématiser l’intervention ergonomique dans les projets internes
    5. Croiser ergonomie du travail et ergonomie web
    6. Evaluer le ROI de l’intervention ergonomique
    7. Identifier les points de développement de ma pratique
    8. Conclusion sur la demande
  5. Le beurre, l’argent du beurre, et le rapport d’activité avec…
    1. Qu’est ce qu’un rapport d’activité ?
    2. Faire tenir le réel dans les cases
    3. Une exploitation multiple des rapports pour des objectifs concurrents
    4. Strategies des opérateurs
    5. Des stratégies conflictuelles
    6. Consignes de saisie
    7. Conclusion sur le rapport d’activité
  6. L’intervention ergonomique comme acte pédagogique
    1. La notion d’acte pédagogique
    2. Quels impacts sur l’intervention ergonomique ?
  7. Bilan et ROI d’une intervention ergonomique sur un ERP
    1. Impact sur la productivité (ROI)
    2. Faire évoluer la vision de l’ergonomie en interne
    3. Identifier ce qui dans la pratique contribue au développement de l’ergonomie
  8. Références et bibliographie

Les ERP : revue de littérature

De l’analyse du besoin à la mise en oeuvre de recommandations, la prochaine série de billets dédiés au projet GCM détaillera tour à tour les constats liés aux usages et à l’impact de l’ERP sur la situation de travail d’une part; et le processus d’évangélisation autour de l’ergonomie que cela m’a permis de mener d’autre part.

Ce post sur le projet GCM fera le focus de façon très concrète sur les méthodes mises en oeuvre, les résultats obtenus, les difficultés rencontrées et l’évolution de la perception de l’ergonomie et de sa valeur ajoutée par les différents acteurs du projet : commanditaires comme utilisateurs.

Mais qu’est ce qu’un ERP ?GCM est un ERP ou progiciel de gestion intégré. Il s’agit d’un logiciel centralisant les  différents outils de gestion utiles à l’ensemble des employés. Les ERP ont pour objectif de faciliter le traitement des données de gestion, d’éviter les redondances et d’assurer l’intégrité de l’information. A cette fin, ce logiciel intègre les composantes fonctionnelles de l’entreprise de la comptabilité à la production, des actions commerciales et des ressources humaines, mais aussi de la logistique et du contrôle de gestion.

Origine des ERP

Les ERP se sont développés progressivement depuis les années 60, en évoluant des MRP (pour Materials Requirements Planning). Le MRP est un progiciel permettant de calculer les besoins en matières et composants d’un processus de production. Ce modèle a évolué pour prendre en compte progressivement des contraintes plus complexes, telles le besoin de pouvoir ajuster le plan de production en fonction des prévisions de vente. Dans un second temps, il s’est développé vers une gestion plus large des ressources de production. La résultante fut le MRP2, pour Manufacturing Ressources Planning.

Ce n’est que dans les années 90 que le MRP2 s’est étendu à l’ensemble des fonctions de l’entreprise, devenant par la même occasion l’ERP, pour Enterprise Ressources Planning. Les ERP ont alors connu une expansion considérable, en venant remplacer les systèmes informatiques vieillissants à l’aube de l’an 2000. Les ERP ont pour vocation d‘optimiser les flux financiers et logistiques de l’entreprise, par l’optimisation de l’usage des ressources, qu’elles soient humaines ou matérielles.

Avantages liés à l’utilisation d’un ERP

L’ERP remplace les routines complexes et interfaces manuelles avec différents systèmes standardisés, et automates transactionnels multifonction. Les délais entre le placement d’un ordre et la livraison de la production peuvent ainsi être réduits.Cette mise en œuvre des process améliore les réponses aux clients et vitesses de livraison. (McAfee 2002, Cotteleer, 2002)

De la même façon, les transactions financières automatisées de la sorte réduisent les temps de « cash-to-cash » et le temps requis pour harmoniser les données financières en fin de trimestre. Cela résulte en une réduction de l’opération sur le capital et la comptabilité dans le domaine financier. (Hendricks, 2005)

Un autre apport des ERP est que l’ensemble des données est collecté par l’entreprise durant la transaction initiale, stockée de façon centrale et mise à jour en temps réel. Ceci assure que tous les niveaux du planning sont basés sur les mêmes informations. Le planning résultant reflète donc de façon réaliste les conditions de fonctionnement de l’entreprise. Par exemple, une prévision développée de façon centrale assure que l’opérationalisation des process reste synchronisée et permet à l’entreprise de fournir des informations cohérentes aux clients. (Bancroft, 1998).

Mises en commun, les transactions standardisées au niveau de l’entreprise et stockées de façon centralisée facilitent grandement la gestion de l’entreprise. Les rapports générés à partir de l’ERP fournissent aux managers une vue claire des performances relatives des différentes parties de l’entreprise. Cette vue d’ensemble permet en retour d’identifier les besoins d’améliorations et de saisir les opportunités du marché.

Les problématiques liées aux ERP

La mise en place d’un ERP dans une entreprise entraine des changements dans l’organisation du travail et suscite des problématiques connues. Ma première approche pour mon mémoire a été de faire un état de l’art des connaissances sur les ERP.

J’ai été surprise de constater que malgré une très bonne documentation, les difficultés rencontrées n’en sont pas pour autant adressées. Une approche s’est dégagée comme grille de lecture particulièrement intéressante : la théorie de la collaboration appliquée à l’interaction homme-système.

La mise en place

Une revue de littérature réalisée par Moon (2007), met en évidence l’intérêt porté aux ERP par différentes disciplines. A partie de 313 articles scientifiques publiés entre 2000 et 2006, sur le sujet des ERP, dans 79 revues, relevant du domaine du Management, de l’Informatique, de l’économie, du business et des sciences humaines.

Les thèmes abordés par ces articles couvrent largement l’implémentation des ERP dans l’entreprise, l’usage des ERP dans le cadre de la prise de décision, leur fonction et leur maintenance. Ils couvrent également la question de leur extension, leur valeur, les perspectives d’évolution et la formation.

L’implémentation de l’ERP est un sujet critique pour l’entreprise et le plus largement traité dans la littérature : plus de 40% des articles recensés sont dédiés à ce sujet, avec une focale sur les facteurs de succès de l’implémentation et les changements que cela implique. Ils comprennent de nombreuses études de cas.

Les articles traitant de l’usage relèvent les questions de l’acceptation de l’outil, la satisfaction utilisateur, les modifications de process entrainées par l’adoption de l’outil jusqu’à la gestion des risques et l’étude de modules spécifiques.

Un bon nombre de problématiques liées à l’utilisation d’un ERP ont été mises en évidence, à commencer par le besoin de maintenance continue, la pérennité de la solution et la captivité vis-à-vis de l’éditeur.

Comme vu précédemment, une grande partie de la littérature est consacrée à la difficulté de mise en place des ERP, avec en tête des sources de difficulté :

L’usage et l’utilisabilité

Dans le cas de mon projet, le progiciel est réalisé en interne et a été mis en place il y a plus de 10 ans. Les questions liées à l’implémentation d’un ERP sont donc moins prégnantes, bien que non absentes. Nous détaillerons donc plus particulièrement les difficultés liées à l’usage et l’utilisabilité, plutôt qu’à la question du changement.

En effet, une utilisabilité faible, telle qu’une tâche d’une complexité non nécessaire et des réponses aux erreurs inadéquates de la part du système a un impact sur l’acceptabilité, l’usage et le succès de l’implémentation de l’ERP.

Babaian (2005) pose le constat que le gain de productivité liés à l’implémentation d’un ERP est souvent réalisée au dépend de gros problèmes d’utilisabilité. Son étude de terrain propose une catégorisation des difficultés rencontrées lors de la première année d’utilisation, sur la base de transcripts d’entretiens semi-directifs analysés par méthode des juges.

Elle met ainsi en évidence 6 problèmes d’utilisabilité :

Identification et l’accès à la bonne fonctionnalité

Les connaissances requises pour accéder au bon écran ne sont pas accessibles à tous : navigation par codes, liens peu visibles et ne proposant pas de chemin direct vers l’information, chemins d’accès multiples et cryptiques.

Exécution des tâches

L’ERP requiert de saisir plusieurs fois les mêmes informations, ce qui est source d’erreurs et d’inconsistances, en plus d’augmenter les besoins de stockage. Les utilisateurs ont recours à des « cheat sheets » pour faciliter les saisies.

Limitation des sorties

Le système ne permet pas d’afficher les informations dont a besoin l’utilisateur, ce qui se traduit par des exports de données brutes, afin de les traiter sous Excel, par exemple.

Support en cas d’erreur

Les messages d’erreur sont trop généraux pour informer l’utilisateur, ce qui entraine des pertes de temps à chercher l’origine du problème.

Terminologie

La terminologie employée est différente de celle utilisée avant l’implémentation de l’ERP, ou spécialisée pour un corps de métier. Cela rend difficile la compréhension des interfaces et crée des attentes erronées quant à la destination des liens. L’aide est structurée selon l’ERP et non selon les process. Aucun glossaire ne permet de comprendre le vocabulaire métier inconnu.

Complexité globale du système

Le système est un ensemble intégré et complexe d’informations, destinées à des corps de métiers très différents, avec des process très différents. En plus de gérer l’ensemble des informations pour un type d’opérateur, celles-ci sont noyées dans des informations non pertinentes pour l’exécution de son travail. Le nombre d’écrans à parcourir pour effectuer une tâche est élevé.

Aborder les ERP par la théorie de la collaborationTous ces éléments correspondent à des points de la théorie de la collaboration : manquement en termes de communication, référent commun, compréhension et appréhension commune de la tâche, travail simultané… Babaian (2006) propose de considérer ce corpus pour améliorer l’utilisabilité des ERP.

Babaian postule qu’avoir recours au modèle de la collaboration homme-machine dans le processus de design permet de résoudre ces difficultés. Ce modèle du système-partenaire vise à faire de l’outil un assistant pour l’utilisateur, dans la mesure où ses besoins sont compris et soutenues par le système.

Sans que ce soit formalisé en ces termes, on retrouve ces notions dans la demande émise concernant GCM.

La (re)naissance d’un ERP

Au cours de ma carrière, j’ai eu l’occasion de faire un travail approfondi sur un ERP, en déroulant la démarche ergonomique dans son ensemble.

Pour comprendre les enjeux du projet GCM, ses challenges et ses enseignements, il faut commencer par présenter la demande à son origine. Elle n’est pas intéressante par le besoin de reformulation qu’elle présentait, mais par le double discours des interlocuteurs projet. Quelles conclusions tirer d’une demande formulée de deux façons totalement contradictoires ?

La demande initiale

La vision du commanditaire m’a été présentée en premier. Ergonome de formation lui-même, il proposait le déployement de la démarche ergonomique complète :

Un premier contact avec le terrain, et quelques observations in-situ opportunistes m’ont permis de très vite me rendre compte de la pénibilité et les pertes de temps quotidiennes associés à l’utilisation de cet outil.

Lorsqu’enfin j’ai rencontré le directeur responsable du projet, j’ai été surprise de la teneur de la demande officielle :

Enfin, l’entretien se conclut par une volonté de la direction : « que les gens ne pestent pas à chaque fois qu’ils doivent s’en servir ». Il est donc également question de réduire la pénibilité de l’usage, mais les moyens sonnent comme des miracles cosmétiques. Les plaintes des opérateurs sont toutefois entendues et à la source de la demande. En filigrane, indépendamment des moyens, il y a une volonté de faire de l’ERP un assistant, facilitant le quotidien des utilisateurs.

Existant et travaux antérieurs

Avant mon intervention sur le projet, quelques travaux d’ergonomie avaient été amorcés : un audit et la production de wireframe pour les nouveaux modules.

L’audit avait mis en avant les points suivants :

A titre illustratif, la structure de l’ERP se découpe classiquement comme dans l’illustration ci-dessous. Cette structuration est la classification la plus simple, toutefois elle force l’utilisateur à passer systématiquement d’une rubrique à l’autre pour accomplir une tâche unique.

Le logiciel est organisée en trois zones : le header regroupe des éléments de navigation et de configuration de l’interface. Des favoris sont affichés en colonne de droite proposant un accès rapide parmi les contenus, à ceux choisis par l’utilisateur. Le cœur de page affiche un plan du site partiel, reprenant les principaux modules du logiciel.

Lors de l’accès à une rubrique de niveau 1 du site, l’utilisateur arrive sur un sous accueil présentant en cœur de page les modules du niveau 2.

Du gameplay dans les marges de manœuvres

En termes de recommandations, les limites budgétaires se traduisent principalement par une volonté de ne pas surcharger l’équipe de développement. Ainsi, s’il est question de permettre une refonte graphique, donc de mettre en place la charte ergonomique à l’occasion d’un nouveau montage html, il n’est pas réellement question de modifier des fonctionnalités en profondeur.

Les recommandations idéales seraient 10 points d’amélioration synthétiques à valider qui « changeraient la vie » des utilisateurs. Ainsi le projet passe d’une grande envergure à un grand challenge. Toutefois, cette demande prend une forme à la fois très contraignante en termes de marge de manœuvres, et très libre en terme de scope.

Derrière ces contraintes se cache une réalité : plus les recommandations sont de grande envergure, moins elles ont de chances d’être mises en œuvre. Ainsi, par cette contrainte, c’est une amélioration concrète qui est visée, plutôt qu’une proposition idéale et irréaliste. Voilà probablement le premier enseignement que j’ai tiré de ce projet et qui est valable aujourd’hui encore à chacun de mes travaux.

Objectifs fixés pour le projet

Dans le cadre du projet GCM, je m’étais donnée des objectifs que je pensais ambitieux, mais atteignables pour part professionnels et pour d’autres purement personnels. De toute façon, je trouvais le challenge stimulant. Je ne m’attendais pas à tous les atteindre, mais cela m’aurait permis dans tous les cas d’apprendre beaucoup sur ma pratique, à défaut. Voici le détail de ces buts, pour lesquels chaque prochain billet construira une part de l’histoire et sur lesquels je reviendrais en conclusion.

Améliorer les conditions de travail et la productivité : proposer des modifications concrètes et réalistes

Comme le rappelle Marie Bellemare (2001) « L’ergonomie porte la finalité de « transformer » : rendre le travail davantage compatible avec la santé de ceux et celles qui le réalisent. ». L’intervention n’a de sens pour les acteurs que si elle amène des transformations concrètes.

Faire évoluer la demande

Pour aller vers une plus grande marge de manœuvre: il fallait attirer l’attention sur le module imputations, particulièrement pénible à utiliser. « En plus de déployer des méthodes pour analyser les situations de travail, en comprendre les déterminants et en établir les cibles de transformation, les ergonomes doivent aussi préparer le terrain afin de rendre possibles les changements qu’ils proposent. » (Bellemare 2001)

Systématiser l’intervention ergonomique dans les projets internes

Les développeurs avaient réalisé pour le module congés une première maquette sous Powerpoint, et l’ont soumise à un ergonome. Ce dernier a fait ses recommandations, et a présenté celles-ci au directeur et à l’équipe technique. Par rapport à ce premier pas, mes objectifs étaient d’impliquer les utilisateurs finaux dans la démarche.

Croiser ergonomie du travail et ergonomie web

Une de mes principales motivations personnelles pour ce projet était de l’utiliser comme support à la communication autour de la pratique de l’ergonomie, afin de donner une vision plus complète de l’ergonomie aux interlocuteurs. L’idée était de promouvoir l’implication des utilisateurs dans les process à travers l’analyse de l’activité, les tests utilisateurs, avec ce qu’elle implique de conception du travail et de l’opérateur.

Evaluer le ROI de l’intervention ergonomique

Pour comprendre le retour sur investissement, il faut identifier ce qui dans la pratique contribue au développement de l’ergonomie.

Pour développer l’offre en ergonomie de l’entreprise comme à destination de ses clients, ce projet permettrait d’évaluer le ROI de l’intervention, premier pas vers le développement des offres de ce type, avec des chiffres à l’appui.Cette approche visait également à déterminer parmis les méthodes utilisées, lesquelles pouvaient constituer les meilleurs leviers de communication

Identifier les points de développement de ma pratique

A titre purement personnel, quel est le regard que je porte sur l’ergonomie ? Quels aspects du métier sont mes moteurs et armes ? Quels sont mes freins ? Par rapport à ce projet, quels sont les points à améliorer et ceux à valoriser ? Autant de questions qu’une prise de recul sur mon travail, pour laquelle le projet est une occasion unique, me permettra d’aborder, afin de définir ce que sera ma pratique de l’ergonomie et le sens que prendra ma carrière.

Conclusion sur la demande

Plusieurs variantes de la demande, selon le degré de connaissance de l’ergonomie des interlocuteurs m’ont permis de focaliser mon action sur l’amélioration de la productivité à travers une réduction de la pénibilité d’utilisation d’un outil pour les opérateurs.

Disposant de marges de manoeuvres importantes sur la démarche, ce projet fut l’occasion pour moi d’inclure les utilisateurs dans le process d’amélioration de l’outil. Dans des articles ultérieurs, je présenterai quelques quelques résultats potentiellement transférables à d’autres cas et répondant à la fois aux objectifs d’amélioration et d’évangélisation.

Et vous, avez-vous déjà travaillé sur l’ergonomie d’un ERP ?

Le beurre, l’argent du beurre, et le rapport d’activité avec…

Un des modules les plus étudiés lors de mon intervention ergonomique sur l’ERP GCM fut le module ‘Rapport d’activité’. Ce module permet à la direction d’avoir une vue d’ensemble des projets d’un point de vue financier. Pour cela, les opérateurs doivent rapport la répartition de leur temps de travail sur différent postes (projets, congés, formations, etc.).

Après une brève revue de littérature et un rappel de la méthodologie, cet article présente et explique les stratégies mises en place par les opérateurs pour faire tenir le réel dans les cases et comment le rapport d’activité dans un ERP peut fausser les indicateurs…

Qu’est ce qu’un rapport d’activité ?

Saisir ses temps sur le bon projet”Je sais sur quel projet imputer ma tâche, mais je ne le trouve pas dans GCM”Dans la majorité des cas, les opérateurs savent sur quoi imputer leurs travaux. Ils rencontrent toutefois des difficultés liées à l’outil ou à un aspect organisationnel :

Dans ces cas, les utilisateurs font appel à différentes stratégies faisant appel à d’autres fonctions de GCM dans un premier temps :

Cela ne suffit toutefois pas toujours, notamment dans les cas où

L’opérateur se tourne alors vers l’humain et pose la question à un collègue, à un commercial, au chef de projet ou à son manager… ce qui résoud généralement le problème.

Une fois le projet connu, la tâche est moins contraignante, mais peut rester complexe. Les stratégies existantes et efficaces sont peu répandues :

Mais le plus difficile n’est pas d’utiliser l’interface, mais bien de faire tenir le réel dans les cases.

Faire tenir le réel dans les cases

“Je ne sais pas sur quel projet imputer ma tâche”La recherche d’un projet connu peut être laborieuse, encore faut-il savoir quel projet chercher.

Les imputations sont saisies par journée. Une journée correspond à une valeur de 1. Pour une demi journée, il faut donc saisir 0,5, et 0,25 pour deux heures. Il est possible d’imputer à hauteur de 0,135 pour une heure de travail, mais pas moins.

Pour les tâches inférieures à 1h, la consigne est de les imputer sur la plus grosse tâche de la journée.

Très rapidement, les opérateurs rencontrent un ensemble de difficultés pour faire tenir le réel dans les cases. Le quotidien implique des tâches pour lesquelles aucun projet n’existe :

Certaines journées sont fragmentées en nombreuses micro tâchesLes heures supplémentaires ne sont pas gérées et sont soit ignorées soit converties en un équivalent de 8h au prorata par projetLes matinées de 3h30 et les après midi de 4h30 correspondent à une durée rapportée équivalente de 0,5 : un 0,5 le matin représente moins de travail qu’un 0,5 l’après midi…

Ceci entraine une première cause de bidouillage :

Une exploitation multiple des rapports pour des objectifs concurrents

“Je veux etre honnête, mais je veux aussi que mon boss ait son variable, et moi le mien !”

Le compte rendu d’activité doit refléter le plus fidèlement possible l’activité réelle des opérateurs. Il est utilisé à plusieurs fins :

Strategies des opérateurs

Lors de la saisie de leur activité sur les différent projets, les opérateurs sont donc amenés à saisir non seulement le temps passé, mais à le répartir selon les catégories, ce qui rend encore un peu plus laborieuse la tâche. Voici les catégories en question :

Des stratégies conflictuelles

L’exploitation double des rapports d’activité pour la gestion de projet et la gestion comptable de l’entreprise a de nombreux effets pervers. Le sentiment de ‘flicage’ créé chez les opérateurs les pousse à travestir leur rapport pour répondre aux attentes des managers et chefs de projets, attentes qui sont incompatibles entre elles et avec les intérêts de l’opérateur.

Ces stratégies ne sont pas officialisée, mais connues et librement discutées, y compris avec la hiérarchie, qui s’en sert tout autant que les opérateurs pour améliorer ses résultats par des tâches de régulation collectives.

Consignes de saisie

La consigne officielle est de saisir chaque semaine son rapport d’activité.

Pourtant, systématiquement les saisies sont réalisées en fin de mois. Le plus complexe dans la saisie du rapport d’activité, et ce qui fait que la tâche prend souvent une demi journée au lieu de dix minutes, c’est ce besoin de jongler entre le réel et l’attendu. Plusieurs stratégies de préparation existent. Prise de notes plus ou moins détaillée à la volée des tâches (calendrier numérique, post-its, fichier excel…) et régulation des micro-tâches par une somme en fin de mois.

Saisie de mémoire en fin de mois, car quitte à renseigner quelque chose de faux, pourquoi chercher à être réaliste : ces opérateurs n’ont recours qu’aux stratégies de correspondance aux objectifs.

Quelques opérateurs ont un comportement de saisie hyper-réaliste, qui gêne l’ensemble des collaborateurs, en réaction à l’absurdité perçue de la tâche

Conclusion sur le rapport d’activité

Le rapport d’activité demande aux opérateurs de faire tenir le réel, avec ses subtilités, de façon réaliste dans des cases arbitraires. Ors, d’une part, le réel ne tient pas dans les cases :

En conséquence, le cas étudié de rapport d’activité ne répond pas aux objectifs pour lesquels il est mis en place :

Une piste pour obtenir des données plus fiables est de prévoir deux interfaces séparées : l’une pour faire les rapports d’activité, sans notions de gestion du budget, pour l’ensemble des opérateurs. De l’autre côté, exploiter ce rapport pour inférer la gestion budgétaire, sans passer par l’opérateur - en laissant le chef de projet seul gérer la régulation si nécessaire. Cela permettrait de gagner du temps sur les saisies, d’éviter le stress qui y est lié chaque mois et d’avoir de chaque côté, gestion de projet comme gestion de l’entreprise, des indicateurs fiables pour la tâche associée.

Par contre, les résultats observés vont sûrement changer du tout au tout et donner de la visibilité aux heures supplémentaires et aux résultats plus réalistes des départements. Cela solliciterait surement de la surprise chez la direction…

L’intervention ergonomique comme acte pédagogique

Les travaux réalisés pour des clients sont le plus souvent très cadrés, structurés et suivent un processus clairement défini, faisant une belle place à l’ergonomie de conception. Sur GCM, ces processs rodés ne sont pas appliqués, par souci d’économie sûrement, ou parce qu’il n’y a rien à vendre.

Ce delta est aussi le reflet de la méconnaissance de ce qu’est l’ergonomie, de sa valeur ajoutée. Les process existe, mais on ne sait pas trop pourquoi. L’opportunité de travailler sur un projet dans lequel les process étaient l’occasion idéale de bousculer ces acquis et d’élargir la vision de l’ergonomie.

La notion d’acte pédagogique

La démarche mise en place au cours de cette intervention ergonomique s’est voulue participative et collaborative par la confrontation entre connaissances en ergonomie et une large part dédiée aux savoirs des opérateurs et des spécialistes techniques. L’analyse de l’activité a permis de déterminer les stratégies utilisateurs, prises en compte dans les différentes propositions ergonomiques et graphiques, par petites touches peu couteuses pour s’assurer de leur implémentation.

En parallèle, la diversité des interactions et collaborations a contribué faire connaitre les principes de l’ergonomie.

Comme le rappelle Dugué, (2010), l’intérêt et l’efficacité des démarches participatives en ergonomie réside dans :

L’ergonomie crée une démocratie participative temporaire, que nous avons pu observer sous la forme d’espaces de discussion et d’échange créés par les situations de recueil de données. Ces espaces dépassent la situation d’observation elle-même.

Ce sont également des liens tissés entre les acteurs qui ont permis par la suite des échanges plus informels lors de pauses café, avec des opérateurs moins impliqués et volontaires de prime abord.

Quelle que soit la situation, j’ai pris le parti d’envisager l’intervention comme un acte pédagogique, visant à transmettre aux opérateurs une vision plus vaste de l’ergonomie, mais aussi de transmettre les différents savoirs-faire mis à jours par ce biais aux individus, à travers des échanges répétés autour de nouveaux résultats.

Quels impacts sur l’intervention ergonomique ?

Le challenge de cette approche est qu’en plus de la dualité des objectifs, chaque étape de la démarche a dû être pensé à la fois en termes d’apport au projet, mais aussi de négociation des marges de manoeuvres disponibles pour mener à bien l’intervention.

A titre d’exemple, la diffusion à grande échelle d’une enquête a dû être négociée. La stratégie mise en place pour déployer la démarche s’est largement appuyée sur la flexibilité et persistance sur la méthodologie.

J’ai donc inclus mes questions d’enquêtes dans la foulée sur les quelques participants. En présentation des résultats, finalement, c’est le commanditaire qui m’a demandé de réaliser l’enquête, titillé par les bouts de données que je lui montrais.

Bilan et ROI d’une intervention ergonomique sur un ERP

Au début du projet GCM (un ERP), je m’étais fixé de nombreux objectifs. Parmi ceux-ci, plusieurs concernaient le développement de l’ergonomie dans l’entreprise. Au cours du projet, nous avons eu la chance de dérouler la démarche ergonomique dans son ensemble, de la reformulation du besoin à la conception de wireframe, en passant par de l’analyse d’activité, des enquêtes, entretiens et tests utilisateurs.

A la fin du projet, un changement de process s’est amorcé, l’ergonomie n’était plus perçue comme une application de bonnes pratiques, mais comme une démarche alliant étude et conception, dont les efforts sont rapidement rentabilisés. Cet article vous présente les résultats du projet.

Impact sur la productivité (ROI)

L’évaluation d’un ROI concernant le projet GCM reste théorique. Une approche possible est le chiffrage du temps gagné par les modifications proposées.

Le temps perdu sur GCM peut s’élever à une demi journée selon les opérateurs sur la saisie des rapports d’activité. Supposons que suite aux améliorations, chaque opérateur gagne 10 minutes par mois par rapport à son utilisation de GCM. Pour 500 opérateurs, cela représente un gain de temps de 12 JH par mois environ à l’échelle de l’entreprise, soit un poste à mi-temps. Le temps d’intervention correspondait à un investissement 4JH par mois en moyenne. Le projet a donc été largement rentabilisé, sachant qu’il a porté sur l’ensemble des modules de l’ERP (recherche de projets, gestion de favoris, tableau de bord, navigation, aide…).

Impact sur la satisfaction utilisateurLa diminution de la frustration des employés est plus difficile à évaluer, mais à chaque amélioration implémentée, les retours sont positifs même s’il reste beaucoup à faire. Un an plus tard, un quart des recommandations est pris en compte et d’autres sont en développement.

Voici quelques exemples d’actions correctives plus ou moins complexes, déjà mises en place.

Le projet GCM n’a pas eu d’impact direct sur l’approche de l’ergonomie au sein l’entreprise. Elle a toutefois permis une prise de conscience des apports de la recherche utilisateur à la conception de systèmes complexes.

L’intervention ergonomique a fait évoluer la situation de travail et le contexte de l’intervention. La demande a évolué, notamment en remettant en cause la croyance que les modules les plus anciens de l’applicatif nécessitaient des améliorations. Au niveau de l’intervention, cela s’est traduit par l’augmentation des marges de manoeuvre dans un contexte initialement favorable au minimum.

L’investissement dans l’étude et la conception a temporairement été revu à la hausse, toutefois l’investissement en développement n’a pas suivi. La liaison directe entre ergonomie et développement s’est amorcée, mais pas concrétisée sous forme de process officiel et transverse à l’ensemble des projets. Un an plus tard cependant, l’intervention à fait ses petits lors de la refonte d’un intranet, pour lequel la même démarche complète a été mise en oeuvre.

Faire évoluer la vision de l’ergonomie en interne

L’intervention ergonomique a impliqué l’ensemble des opérateurs de l’entreprise soit comme interlocuteur stratégique, soit comme utilisateur final. Dans les deux cas, l’implication directe dans la démarche d’analyse et de conception ergonomique a fait évoluer la vision de ce métier.

Les interlocuteurs, souvent déjà formés aux notions d’accessibilité et aux design patterns reconnaissaient l’ergonomie comme étape de conception - sans toujours trop savoir pourquoi. Le regard de l’ergonome, l’aspect recherche utilisateur et les fondements théoriques de la conception ancrée dans la psychologie était bien moins connue.

Les interlocuteurs ont notamment été surpris par les aspects suivants :Le positionnement entre l’opérateur et la direction

L’impact à long terme a été très progressif, mais visible :

Identifier ce qui dans la pratique contribue au développement de l’ergonomie

La mise en place de l’intervention ergonomique transforme le terrain en même temps que le travail des opérateurs, et le rend progressivement plus favorable à la mise en place de l’intervention.

Ainsi, l’ensemble des travaux, interactions et résultats ont permis de diffuser le fait que l’ergonomie n’est pas une simple application de principes et de bonnes pratiques, mais est avant tout une question de prise en compte de l’utilisateur, des stratégies qu’il met en place, et que les guidelines, si elles sont utiles, ne suffisent pas toujours pour répondre au besoin.

Le second message qui est passé et a permis d’impliquer un plus grand nombre d’acteurs dans le projet est que l’ergonome n’est pas “à la solde de la direction”. Il se positionne entre les deux pour faire entendre la voix de l’utilisateur et répondre aux besoins des deux parties, qui ne sont pas contradictoires : améliorer le confort contribue également à améliorer également la productivité.

Références et bibliographie

Posté par Orsoral le 2013-08-12. Dernière mise à jour le 2024-06-07

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