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Réalités Parallèles

Ergonomie et conception de jeu vidéo

Jeux stressants - Stress en jeu

  1. Le stress
  2. Une approche du stress en ergonomie du travail
  3. Facteurs de Stress dans les jeux vidéo
    1. Les contraintes temporelles
    2. Sentiment de responsabilités et d’incertitude
    3. Le sentiment d’incertitude
    4. Les relations humaines comme source de stress
    5. Stress relationnel lié à la compétition entre joueurs
    6. Stress relationnel lié aux personnages du jeu
  4. Les marges de manœuvre comme facteur de stress
    1. Les marges de manoeuvre dans DCotE et leurs conséquences
  5. Le stress et la pénibilité mentale
  6. Attention soutenue et pénibilité mentale
  7. Interruptions de tâches
  8. Stress: une affaire de perception
    1. Les gens ne sont pas égaux devant le stress.
    2. L’impact du facteur expérience
  9. Comment influer sur le stress perçu?
    1. Adapter les stresseurs aux joueurs
    2. Les contraintes imaginées stressent autant que les contraintes réelles
    3. Stresseurs freudiens
    4. Faire appel à l’inconscient
  10. Modèle biologique du stress
    1. Stress actif et stress passif
    2. Stress fonctionnel et stress dysfonctionnel
  11. Exemples dans le jeu vidéo
  12. Exploitation du stress actif dans le jeu vidéo : Condemned
    1. Je suis plus malin que le jeu
    2. Permettre au joueur d’anticiper
    3. Maitriser les marges de manoeuvre

Le stress

Dans la société actuelle, le stress est une préoccupation majeure, en particulier dans le domaine du travail. En cette période où les jeux angoissants semblent connaître un regain d’intérêt avec des sorties comme Penumbra, Condemned, Fear et la poursuite des classiques que sont resident evil et Silent Hill, il me semble intéressant de s’intéresser au stress appliqué au jeu vidéo.

J’écris cet article en tant que psychologue ergonome en formation d’une part, et développeur amateur de jeu vidéo d’autre part. Je m’appuierais tout d’abord sur mes connaissances en psychophysiologie pour présenter et expliquer les mécanismes en jeu dans le stress, ses effets a long et court terme.

Dans un second temps, je présenterai un modèle du stress au travail issu de l’ergonomie, notamment en terme de causalités. Pour chacune de celles ci, je j’analyserai leur utilisation effective et potentielle dans la gestion du stress in-game. Enfin, je montrerai comment l’expérience du joueur variera en fonction des types de stresseurs employés et deson expérience pour faire face à la situation.

Une approche du stress en ergonomie du travail

Le stress est souvent représenté comme quelque chose de néfaste, à éviter, qui vient nuire au travail, réduire la réactivité et l’efficacité des gens, dans un effet inhibiteur. Mais que se passe t il effectivement lors d’une réaction de stress?

L’endocrinologue Hans Selye a le premier mis en évidence la réaction de stress, en la différenciant le terme stress et stresseur. Un stresseur est un élément de l’environnement qui va induire une réaction de stress. La réaction de stress, quand à elle, est un ensemble de réactions nerveuses et hormonales du corps, doublées de réactions psychologiques. Le stress se découpe en trois phases.Dans un premier temps, un stresseur induit une réaction d’alarme ou d’urgence.

Celle ci constitue une adaptation des fonctions physiologiques du corps pour se préparer à l’attaque ou a la fuite en présence d’un agresseur. Pendant un temps, l’organisme continue à mobiliser ses ressources afin de faire face à l’agent stresseur. C’est la phase d’adaptation. Si celle ci se prolonge considérablement, on arrive finalement à une phase.

Si a long terme le stress est donc néfaste pour la santé, il court terme, il peut avoir des effets positifs, notamment sur l’apprentissage, la santé de façon plus générale.

A niveau psychologique, le stress a aussi des effets positifs et néfastes. A court et moyen terme, le stress entraîne un état d’anxiété, une augmentation de la vigilance, des capacités d’apprentissages, de l’irritabilité. Nous voyons donc qu’ici aussi, les conséquences peuvent être positives comme négatives, et d’ampleur variable selon la durée d’exposition.

Facteurs de Stress dans les jeux vidéo

Les contraintes temporelles

Dans nombre de jeux vidéos, créer un certain degré de stress chez le joueur est quelque chose de positif. D’une part, il participe à la création des tensions dramatiques nécessaires pour rythmer la narration et le gameplay. D’autre part, à petites doses, le stress a des effets stimulants. Etant donné les réponses physiologiques et effets psychologiques du stress à court, moyen et long termes, il est du devoir de ceux qui s’en servent dans des produits ludiques de bien en connaitre les caractéristiques.

Comme dans les films, le stress est suscité dans le jeu par deux mécanismes principaux : le stress d’ambiance et l’effet de choc. Par ailleurs, nombre d’autres facteurs agissent sur le niveau de stress du joueur.

Afin de proposer une vision riche et articulée des façons dont le stress peut être créé et géré, nous allons aborder dans cette série d’articles le modèle du stress en ergonomie du travail. Par la perspective de celui-ci, nous apporterons un éclairage complet sur les différentes mécaniques du stress en illustrant chacune d’elle de cas concrets d’utilisation dans les jeux et de l’effet qui en découle.

Les notions de stress au travail appliquées au jeuDans les situations de travail, le stress est souvent considéré comme synonyme de charge de travail, les deux étant étroitement liés. Cependant, divers facteurs ont été mis en avant pour expliquer les causes du stress.

Nous allons reprendre ces stresseurs point par point, et après en avoir expliqué les principes, illustrés par une situation de travail, nous apporterons quelques exemples d’utilisation de ces facteurs de stress dans des jeux vidéos, et apporterons quelques éclaircissement sur ses effets.

Les contraintes temporellesLe premier facteur de stress que nous allons aborder ici est liée au temps. En effet, des contraintes temporelles fortes sont une source importante de stress. Au travail, cela se voit particulièrement dans les situations de flux tendu.

Comment ce type de stresseur est il employé dans les jeux vidéos? C’est bien simple, elle concerne toute épreuve chronométrée d’une façon ou d’une autre. La contrainte temporelle peut être explicite, avec un chronomètre visible, comme c’est parfois le cas dans des jeux de course ou implicite, ou la contrainte se traduit simplement par un échec.

C’est le cas par exemple des puzzles chronométrés dans nombre de jeux : if faut ouvrir une porte et traverser rapidement un couloir piégé avant que celle ci ne se referme dans Prince of Persia. A un degré plus important, les poursuites du Dahaka sont d’autant plus stressantes que la contrainte temporelle est forte et que les conséquences d’une erreur sont immédiatement sanctionnées par la mort du personnage.

Cette notion de conséquences immédiates ont d’autant plus d’effet qu’elles sont prises au sérieux pour le joueur, nous amène au second facteur de stress, qui est le sentiment de responsabilité.

Sentiment de responsabilités et d’incertitude

Le sentiment de responsabilité est issu de toutes les conséquences des actions qui sont perçues. Dans le monde du travail, ces conséquences peuvent porter sur soi, sur le travail, sur l’entreprise ou sur le monde. Il s’agit de ce que l’on pense pouvoir apporter, acquérir, mais aussi perdre et faire perdre.

Dans un jeu, les conséquences néfastes n’influencent pas directement la vie du joueur de façon drastique. Elles ont par contre un effet certain sur le plaisir de jouer, en particulier en suscitant de la frustration.

Le sentiment de responsabilitésEn laissant au joueur la responsabilité de contrôler son personnage, ses troupes, on associe à ses actions des conséquences qui peuvent porter sur le monde dans lequel il évolue, la partie en cours, son personnage ou sur lui-même.

Ces conséquences peuvent être plus ou moins positives et plus ou moins désagréables, voire frustrantes. Elles vont pour le personnage, de la mort à la nécessité de refaire toute une partie. L’utilisation de points de sauvegarde sont de ce fait, autant des aides que des stresseurs, en comparaison avec la capacité de sauvegarder à volonté.

En face, les actes du joueur peuvent avoir aussi des conséquences sur le monde qui l’entoure : la mort d’un personnage secondaire, une fin alternative, etc.

Dans cette optique, un jeu linéaire dans lequel le joueur ne pourra que suivre un chemin tracé devra se baser sur d’autres stresseurs pour obtenir l’effet désiré. Ces derniers pourront par exemple faire appel à des situations mal définies pour recourir au facteur d’incertitude.

Le sentiment d’incertitude

Les situations mal définies sont stressantes dans le sens où elles laissent les acteurs incertains de ce qui peut arriver, à l’affût. Au travail, ces situations peuvent venir de rôles mal définis, d’injonctions paradoxales (ordres contraires de la part de différents supérieurs), mais aussi des objectifs peu clairs. Dans les jeux, ceci va se traduire de deux façons : la suggestion et les effets de surprise.

La suggestion tout d’abord est souvent utilisée dans les jeux horrifiques où le joueur n’a en réalité rien à craindre. Cela dit, il ne peut pas en être sur, et il y a tout de même une menace qui plane au dessus de sa tête. Le joueur est alors dans l’attente du moment où le jeu brisera la règle implicite qui veut qu’il n’y ai rien à craindre, ce qui amène le joueur à se sentir stressé quand bien même cette règle serait respectée.

Ces mécaniques sont particulièrement utilisées dans des jeux comme Scratches et Penumbra.

Pour le cas des effets de surprise, on peut considérer typiquement des jeux comme Silent Hill ou Résident Evil, dont les angles de vue ne permettent typiquement pas de savoir s’il y a un ennemi là où se dirige le joueur avant qu’il ne tombe dessus. Allant plus loin que cela, ils jouent aussi parfois sur l’incertitude de la mort effective d’un ennemi.

C’est particulièrement le cas avec RE, du moins à la première partie et jusqu’à ce que l’on comprenne qu’il aurait fallu brûler les zombies. L’incertitude de ce qui est à venir se traduit aussi dans les effets de chocs, qu’ils soient comme dans Bioshock liés à l’obscurité de l’environnement, ou comme dans Prey, ou les ennemis peuvent se trouver au plafond comme au sol.

Un jeu plus récent qui joue particulièrement bien sur l’incertitude est clairement limbo? Dans limbo, le piège évident n’est jamais celui qui vous tue. Mais au-delà de ce point, lorsque l’on est confronté à un interrupteur, l’on se sait pas s’il faut sauter sur le bouton ou si le “bouton” est en fait la plateforme stable entourant les deux vrais interrupteurs. Limbo va jusqu’à avoir recours à l’essai et erreur pour créer cette tension. A noter que cela fonctionne très bien dans limbo, en particulier grâce aux points de sauvegarde qui sont placés stratégiquement avant chaque piège.

Ainsi, le jeu ne frustre pas pour autant car il évite la surenchère entre le stress lié à l’incertitude et celui lié à la gravité des conséquences de ses actions.

Les relations humaines comme source de stress

Un des facteurs de stress les plus présents au travail repose dans les relations humaines, et notamment les relations tenues avec la hiérarchie ou les collègues. Celles ci prennent place dans les situations de travail où la compétition a une place importante, mais aussi, pour les postes qui ont des positions d’intermédiaire entre dirigeants et salariés, et particulièrement dans les postes en contact avec le public qui doivent faire face à minima à des plaintes jusqu’à éventuellement à des violences verbales.

L’humain se retrouve également comme stresseur dans le jeu vidéo.

Stress relationnel lié à la compétition entre joueurs

Un des aspects stressants dans les jeux relève de la compétition. Lors des jeux en lignes, par exemple, Warcraft 3, l’opposition entre joueurs entraîne une forme de stress lié à des facteurs sociaux. On peut imaginer que c’est d’autant plus présent que les joueurs sont “pros”, au même titre qu’une compétition sportive est stressante.

Stress relationnel lié aux personnages du jeu

Si généralement les relations de subordination dans les jeux ne sont pas remises en question, elles peuvent être dans certain cas des facteurs de stress. Dans les cas où les objectifs sont assignés par un personnage, ce dernier est conçu comme un guide et est dans une position censé soutenir et aider le joueur. Cependant, il est possible de jouer avec cela, dans le fond et dans la forme pour susciter un stress.

Par exemple, le jeu Hotel Dusk peut s’avérer stressant de part la façon dont les autres personnages s’adressent à nous, et des relations que le joueur entretien avec eux.

Si le personnage donnant les ordres est par exemple haïssable, il peut en résulter une situation stressante. C’est le cas lorsque le joueur est “manipulé” par son ennemi, ou soumis un chantage. Les façons de faire passer les ordres jouent beaucoup dans les deux cas. Nous prendrons pour illustrer ce thème Call Of the Cthulhu, Dark Corners of the Earth. L’exemple typique de cette situation, est lorsque le joueur vient d’échapper in extremis à l’espèce de tentacule gluantes dans les sous sol, et que le patron ordonne d’y retourner au moment même ou l’on émerge du traquenard.

Mais DCotE présente aussi l’autre aspect du “stresseur social”, et ce de façon très réussie. Dès que l’on arrive dans le village, l’ambiance est stressante alors même que l’on vient juste d’arriver. Cela vient des relations tendues avec les villageois qui, s’ils n’attaquent pas, sont visiblement hostiles. Le fait d’être suivi du regard et plus généralement, des entraves aux conventions sociales habituelles, en commençant par le manque de politesse, entraîne un certain malaise, un état de stress. On sent l’hostilité, là où on imagine qu’elle ne devrait pas être.

Et vous, avez-vous déjà joué ou travaillé à un jeu où l’humain occupe une part importante dans la mise en place d’une ambiance stressante ? Quels facteurs pensez-vous contribuent à rendre cette approche réussie ?

Les marges de manœuvre comme facteur de stress

En dehors des relations sociales, un élément qui rend DCotE (Call of Cthulhu : dark corners of the earth) particulièrement stressant, du moins pour les premiers niveaux et par la suite à une reprise face aux tentacules, est l’absence d’arme pour faire face au danger.

Les marges de manoeuvre, source de stressAu travail, le stress ressenti est très dépendant des possibilités que l’employé à de faire face aux contraintes qui lui sont imposées. Ainsi, quelqu’un ayant un travail durant lequel il ne peut prendre pas sa pause au moment de son choix sera plus stressé que quelqu’un qui a la maîtrise de son emploi du temps.

La marge de manœuvre correspond au contrôle qu’une personne a sur son environnement, son activité.

Dans les jeux, la marge de manœuvre peut être variable et comprend la possibilité de se déplacer autant que celle de se défendre, de se débarrasser définitivement des ennemis, de choisir son arme, de résoudre des problèmes dans l’ordre désiré. On peut aussi inclure là dedans des aspects hors jeu, comme la possibilité pour le joueur de configurer les contrôles du jeu a son gré, de régler l’image, de créer des raccourcis claviers, d’afficher des informations pertinentes de son choix à l’écran.

Les marges de manoeuvre dans DCotE et leurs conséquences

Ainsi, les premiers niveaux de DCotE, le joueur ne dispose pas d’arme, et ne peut que fuir ou se cacher.

De plus, s’il se retrouve blessé, il est limité en terme de soins, puisqu’il ne dispose pas de kits pour se soigner en nombre illimité, et qu’en plus, il ne peut pas se soigner n’importe où. En effet, se soigner en pleine poursuite conduit à une mort certaine, vu le temps mis pour mettre en place les bandages.

Cet effet de la marge de manœuvre est très visible, et de la même façon que l’on note une différence énorme dans DCotE entre les moments où l’on est armé et ceux ou l’on ne l’est pas, on retrouve ce facteur et ses effets spécifiques dans nombre de survival horrors.

Ces effets du stress disparaissent dès que l’on a découvert une marge de manœuvre applicable : dans DCotE, c’est le moment où l’on récupère le fusil, l’essence dans Resident evil ou la sauvegarde rapide dans un fps.

Une autre sourceMais la marge de manoeuvre peut aussi être source de stress lorsqu’elle s’applique directement au joueur et non plus à travers son personnage. Des jeux console adaptés au pc peuvent s’avérer bien plus stressant à cause de contrôles mal adaptés qu’ils ne le seraient avec une manette, si par exemple ces contrôles empêchent de viser facilement.

Toutefois contrairement au stress lié à sa vulnérabilité dans le jeu, le stress lié à une mauvaise maniabilité est loin d’être souhaitable dans un jeu.Quel est selon vous le jeu qui exploite le mieux cette contrainte pour créer une ambiance oppressante ?

Le stress et la pénibilité mentale

Une réaction de stress peut être causée par différent facteurs. Parmi eux, l’attention soutenue, la pénibilité mentale et l’interruption de tâche sont propices à créer cette réaction, sans que l’environnement ne présente de danger à priori. Ces stresseurs sont bien connus dans le monde du travail, mais s’appliquent également au jeu vidéo.

Attention soutenue et pénibilité mentale

En situation de travail, l’attention soutenue est souvent liée à des processus de contrôle, comme les activités de surveillance. Un exemple typique est le poste des contrôleurs aériens qui doivent gérer de nombreuses informations en simultané et ce de façon précise, et en continu.

Dans les jeux, l’attention soutenue peut être sollicitée par le gameplay et les contrôles. C’est le cas des scènes d’action dans Fahrenheit, durant lesquelles il faut faire preuve de réactions rapides et appropriées, plus ou moins soutenues, mais toujours d’une drée qui dépasse légèrement celle durant laquelle l’effort est minime. Elles entraînent une fatigue du joueur qui a des difficultés à maintenir son effort de concentration après un certain temps, mais se doute que la séquence arrive bientôt à terme, ce qui le motive à le prolonger.

Des jeux comprenant des scènes d’infiltration sont basées sur le même principe. Il s’agit de maintenir une attention importante, notamment aux déplacements et champs de visions de ses opposants, qu’il s’agisse de gardiens, de caméras, de systèmes de détection.

Les contrôleurs aériens sont confrontés à une seconde difficulté : la pénibilité mentale. Non seulement ils doivent faire preuve d’une attention soutenue, mais la multiplicité même des informations qu’ils doivent traiter, et la complexité de ces traitements constituent un autre facteur de stress.

Là encore, on retrouve des situations de jeux dans lesquelles des conditions similaires apparaissent. C’est le cas par exemple, dans les jeux de stratégie pour lesquels il faut arder un nombre important d’informations à l’esprit, ou du moins en surveiller : santé des troupes, positions des unités, position des ennemis, avancement des constructions, déroulement des combats.

Interruptions de tâches

Les interruptions de tâches sont un facteur de stress important dans les situations de travail. Elles touchent notamment les secrétaires dont les activités liées au courrier sont typiquement interrompues par des coups de téléphone, et récemment aux emails.

Au niveau du jeu vidéo, les interruptions de tâches prennent place lors d’évènements impromptus. Cela peut aller d’une attaque surprise dans un jeu de stratégie, une catastrophe naturelle dans un jeu de gestion tel que SimCity, ou encore un monstre qui surgit, une coupure de courant subite qui empêche de continuer ce que l’on faisait à l’origine, par exemple, résoudre une énigme, ou préparer une offensive importante.

Un bruit suspect pendant que l’on essaye de se concentrer pour résoudre une énigme peut déjà constituer une interruption de tâche à minima, dans le sens où cela amène à vérifier l’origine du bruit.. Toutefois, le cas le plus fréquent est l’action qui demande du temps : que ce soit poser une bombe dans counter, à pirater un terminal informatique sous le feu ennemi dans Mass Effect 2.

Stress: une affaire de perception

Le stress est une réaction physiologique visant à déterminer la réaction appropriée à adopter, en comparant la situation dans laquelle on se trouve et les moyens dont on dispose pour y faire face. L’écart entre les deux va définir le degré de stress associé à la situation. Par conséquent, la situation va jouer autant que les caractéristiques de la personne. Les gens ne sont pas égaux devant le stress, un des facteurs impliqués dans le jeu est l’expérience du joueur.

Les gens ne sont pas égaux devant le stress.

Face à un même jeu, une personne pourra être stressée au point de ne pouvoir poursuivre une partie, alors qu’une autre passera au travers sans le moindre frisson. Ainsi, il est possible à quelqu’un d’avoir une attaque de panique dans la cave de Scratches, et à une autre de ne pas sourciller en jouant à Penumbra.

Le stress, au delà de la réaction physiologique en elle même, est aussi un sentiment qui découle du rapport établi par un individu entre ce qu’il perçoit de la situation, le danger perçu et des ressources dont il dispose pour y faire face. Ces ressources peuvent être des outils, des soutiens, mais aussi sa propre énergie, ses compétences, ses connaissances et sa capacité à s’adapter.

L’enjeu du stress dans les jeux vidéo n’est alors pas tant de bien doser les ressources et la menace, puisque la perception des deux est subjective. L’enjeu se trouve bel et bien dans un guidage de cette perception. Effectivement, un joueur qui pense être submergé par une marée de zombies s’il est à découvert sera bien plus stressé qu’un joueur qui sait qu’il peut facilement survivre à une armée de monstres.

Tout comme l’on se voit comme un survivant uniquement si l’on réussit à passer les épreuves avec un seul point de vie.

L’impact du facteur expérience

Plusieurs facteurs jouent à ce niveau, dont l’expérience du joueur. Un joueur occasionnel, à plus forte raison débutant, ne connaît pas bien les règles implicites applicables aux différents genres de jeux.

Par exemple, si l’on n’est pas armé, on n’est généralement jamais attaqué ; il est souvent possible d’explorer sans crainte un niveau tant que l’on n’a pas déclenché la mission qui fera apparaître les ennemis… dans un RPG, les villes habitées sont généralement dépourvues de monstres, et ainsi de suite.

Ce sont de telles règles générales, et auxquelles obéissent globalement les jeux d’un même genre, qui permettent aux core gamers de ne pas se sentir stressés là où un novice ne se doutera pas toujours qu’il est en réalité en sécurité.

Quelqu’un n’ayant jamais joué à un shooter pourra se trouver très stressé face au premier niveau de Unreal, surtout en voyant des civils se faire tuer subrepticement sous nos yeux, indiquant que l’ennemi est proche.

Pour les joueurs chevronnés, c’est au contraire en  brisant ces règles intelligemment que l’on suscitera le stress. Silent Hill 4, par exemple, a négligé de placer les points de sauvegardes dans des salles dépourvues de monstres. Le fait que les salles “sûres” ne le soient pas toujours contribue à garder la tension également pour les joueurs habitués à l’univers.

Le jeu n’en abuse toutefois pas en laissant des monstres dans tous les points de sauvegarde, ce qui nuirait à l’expérience en maintenant le joueur sous un stress constant et donc, néfaste à long terme.

Comment influer sur le stress perçu?

De nombreux facteurs permettent d’influencer le stress perçu. Encore faut-il savoir comment le stress est perçu par différent joueurs. L’imaginaire du joueur joue beaucoup sur ce point : en effet, les contraintes qu’il imagine ne sont pas toujours celles qui lui sont imposées. Maitriser cet imaginaire est alors un facteur de succès. Pour ce faire, une approche possible est d’explorer une approche freudienne et de faire appel à l’inconscient du joueur.

Adapter les stresseurs aux joueurs

Coté joueur, difficile d’estimer ses niveaux de tolérance au stress, et son expertise en jeu vidéo. Les moyens à la disposition du designer de ce côté sont principalement les indications liées au public cible du jeu vidéo. Si le public visé est composé principalement de hardcore gamers, on n’aura pas recours aux mêmes procédés que s’il s’agit de casuals. (Cela vaut pour tout, me direz vous).

Ainsi, Rule of Rose est stressant jusqu’à ce que le joueur ait compris qu’il peut facilement contourner et éviter la plupart des ennemis.

De même, une indication peut être le degré de familiarité d’une série. On peut par exemple supposer que quelqu’un qui découvre Resident Evil n’aura pas les mêmes réactions que quelqu’un qui a traversé avec succès chaque épisode de la série. En ce sens, on peut apprécier les remaniements qui s’effectuent dans la nature de ce jeu, malgré le fait que les joueurs ne l’apprécient peut être pas particulièrement.

Ainsi, le nouveau Résident Evil semble délaisser l’angoisse latente pour s’orienter vers des épisodes de peur panique, en renforçant les contraintes pesant sur le joueur, limitant ses marges de manoeuvres et en remettant en cause les règles établies, relativement stables jusque là. En effet, le seul moyen qui reste vraiment disponible est de moduler l’intensité des divers stresseurs, en tenant compte des caractéristiques des joueurs.

Les contraintes imaginées stressent autant que les contraintes réelles

Ce qui est important donc, est de laisser le joueur croire qu’il est sous la contrainte, et éventuellement le “punir” de son inaction.

Pour conclure, il faut insister sur le fait qu’il est très difficile de prévoir le type de stress, et par conséquent le niveau de tension, et éventuellement de peur ressenti par le joueur face au danger. On peut cependant l’orienter dans la direction d’une attaque de panique ou d’un malaise latent, en fonction des procédés employés.

Ainsi, une contrainte très importante mais brève sera plus propice à l’attaque de panique, qui pousse le joueur à une action intuitive, des réactions brèves, mais le conduit à une fatigue rapide. On peut noter ici les rapports de forces entre joueur et ennemis, leurs rapidités relatives, la gravité des effets de la confrontation, ou encore des contraintes temporelles extrêmement fortes et une marge de manoeuvre minime, autrement dit, quelque chose qui se rapproche du non droit à l’erreur.

Par opposition, on peut induire un sentiment d’anxiété latente plus facilement avec des contraintes temporelles moyennes, un niveau d’incertitude élevé, des besoins attentionnels importants, des relations humaines tendues, des interruptions de tâches etc.

Notez que ces stresseurs discutés ici sont à l’origine de réactions biologiques et psychologiques répondant principalement à un instinct de survie. Je n’ai pas évoqué ici d’autres facteurs de stress exclusivement psychologiques comme la nature de l’ambiance sonore, qui jouent pour beaucoup dans la tension provoquée par certains jeux, ou encore des contenus présentés en eux mêmes.

Stresseurs freudiens

Nombre de contenus peuvent causer un stress de part leur nature dérangeante, anormale, inhabituelle. C’est par exemple le cas des monstres humanoïdes dans Silent Hill ou généralement, lorsqu’un ennemi est incarné par un mignon petit enfant. Cela peut aussi venir des décors, des connotations de certaines scènes etc.

Tous ces éléments relèvent d’un aspect symbolique que je n’approfondirais pas ici. Il relèvent plus à mon sens d’une approche psychanalytique, qui présente elle aussi un intérêt certain, mais qui nécessiteraient une réflexion détaillée aussi longue que celle que nous venons de mettre en place. Pour ceux qui sont intéressés, voici tout de même une très brève introduction au thème.

Faire appel à l’inconscient

Il faut savoir que comme les comptes pour enfant et les fables, certains jeux les plus stressants s’appuient, que ce soit consciemment fait ou pas, sur des éléments conduisant à une situation d’étrange familiarité, si bien décrite par Freud dans son écrit ‘das unheimliche’ Ayant décortiqué cela précédemment, je pourrais éventuellement faire un compte rendu des procédés et symboliques générales entrant en jeu…

Modèle biologique du stress

La notion de stressNous avons donc abordé différentes sources de stress, selon le modèle du stress au travail développé en ergonomie, et la façon dont on retrouve ces stresseurs dans les jeux vidéos. Il faut maintenant parler des effets du stress et surtout de la réaction du joueur à celui ci. Pour cela, nous allons faire un petit détour par les rats de laboratoire, et revenir à celui qui a découvert et nommé le stress, Mr Selye.

Stress actif et stress passif

Non content de mettre en évidence le phénomène du stress, il a étudié ses conditions d’apparition, mais aussi ses effets, selon la nature du stress. L’expérience qui nous intéresse ici montre que la nature de la réaction de stress, à dominante hormonale ou nerveuse, dépend de la prévisibilité du stresseur.

Ce que montre l’expérience effectuée sur ces rats, est qu’un stress prévisible est mieux géré et permet une adaptation active au stresseur. Un stress imprévisible au contraire est plus néfaste, de part son maintient prolongé et sa dominante hormonale, qui a rappelons le, des effets plus néfastes sur la santé à priori.

Transposé à l’homme, cela signifie que si le sujet a la possibilité d’être actif face au stress, il le vit mieux.

Stress fonctionnel et stress dysfonctionnel

On parle en ergonomie de stress fonctionnel et de stress dysfonctionnel. Ce dernier a un effet non stimulant, voire paralysant ; il dégrade les performances, et la satisfaction, il a des effets néfastes sur la santé et de plus, il peut se combiner à une impuissance apprise, qui amène à plus de passivité.

Il a rapidement des conséquences néfastes sur la santé. Un stress fonctionnel au contraire a un effet motivant stimulant, il permet d’améliorer les performances et la satisfaction liées à une activité. Il permet aussi d’acquérir de nouvelles compétences, puisque l’action est soutenue par des ressources attentionnelles et de mémorisation accrues (ce qui n’est pas le cas dans le stress dysfonctionnel, puisque aucune tentative de maîtrise n’est mise en place, on ne peut pas les acquérir).

Exemples dans le jeu vidéo

Les jeux vidéo ont donc tout intérêt à susciter un stress fonctionnel. Celui ci peut se traduire dans le jeu par une maîtrise accrue de la situation et une satisfaction plus importante d’en réchapper. Mais pour cela, il est important que ledit stress soit prévisible. Alors quelles sont les bonnes pratiques?Un mauvais exemple de gestion du stress est typiquement Doom 3, dans lequel le stress vient des effets de chocs.

Certes, on sait que le monstre viendra du coin le plus obscur. Ce n’est pas un très bon indicateur quand l’écran entier se retrouve noir. Le joueur peut alors adopter une attitude passive : le monstre qui arrivera, arrivera, et on s’en occupera, puisque de toute façon le jeu ne laisse pas le choix.

Au mieux, cela se traduit par un désinvestissement du jeu, où l’on abaisse le niveau de stress en diminuant l’importance que l’on accorde à la mort de son personnage. Au pire, le joueur adoptera une position active, et éteindra sa console.

Exploitation du stress actif dans le jeu vidéo : Condemned

Un jeu qui gère très bien les facteurs de stress au contraire est Condemned. Nous considèrerons ici en particulier le niveau du magasin Bart, dans son intégralité. Condemned joue lui aussi sur les effets de surprise pour causer de mini paniques, principalement sous forme d’hallucinations et de déplacement d’objets dans le dos du joueur, dans le but de lui faire gâcher des munitions. Ces derniers sont cependant minoritaires et relativement prévisibles après le premier choc.

Je suis plus malin que le jeu

Le principal atout de Condemned, et le meilleur facteur de stress en jeu, réside dans ses mannequins.

En arrivant dans le niveau, le joueur peut être sûr dès le départ, qu’il y aura des ennemis tentant de se faire passer pour des mannequins. Ayant passé deux niveaux déjà, il peut se douter que le designer n’aura pas laissé passer pareille occasion, alors que les ennemis attendent derrière des piliers pour prendre le joueur par surprise.

Et effectivement, si l’on approche des mannequins, et que l’on leur met un coup de pied, simple mesure de sécurité, certains semblent gémir. Et puis, à y regarder de plus prêt, on peut s’apercevoir qu’il s’agit d’un homme qui porte un masque et dont une petite bande de peau mate est visible à l’arrière du cou.

Alors, sans être sûr encore, le joueur va faire le tour des mannequins et les taper a tour de rôle. Et puis, éventuellement il tournera le dos à l’un d’eux, qui aura disparu ensuite. Le joueur aura loisir de se demander s’il a rêvé, tant qu’il n’a pas encore vu de mannequins bouger. En se rapprochant, il se fera peut être prendre par surprise par l’homme mannequin caché derrière un pilier.

Permettre au joueur d’anticiper

On pourrait à priori se demander pourquoi mettre deux modèles différents, alors qu’il suffirait d’utiliser le même modèle pour que le joueur ne puisse plus faire la différence et se fasse piéger plus facilement. C’est bien là qu’est l’astuce.

En laissant au joueur la capacité de faire la différence, on lui permet de mettre en place une attitude active face au stress qui lui est imposé. De nombreux facteurs de stress sont réunis : en particulier, il s’agit ici d’une situation d’incertitude, d’autant que l’on peut se demander dans un premier temps si la personne cachée dans le mannequin était finalement un ennemi ou une victime que l’on aura achevé au lieu de la sauver.

Si le joueur tire tant de ce jeu tant, c’est qu’il se grise en fait de sa propre intelligence, de la satisfaction de voir qu’il apprend progressivement à maîtriser les différents aspects du jeu, de les prévoir et de contrôler la situation. C’est d’ailleurs ce qui explique que ce jeu arrive à rendre aussi plaisant des combats d’une grande violence, et contrairement à la plupart des jeux, non par une satisfaction de la victoire, mais par une jouissance de chaque coup paré ou porté.

Maitriser les marges de manoeuvre

L’exemple du magasin Bart est particulièrement frappant, mais en réalité, ces élément valent pour chaque niveau du jeu et à tous les niveaux. Ce qui vaut pour la reconnaissance des hommes mannequins vaut aussi bien pour l’achèvement d’un niveau que le moindre coup porté, en passant par la localisation des ennemis cachés, la satisfaction de maîtriser l’envie de faire feu à tout bout de champ lorsque son esprit lui joue des tours, et celle de trouver les collectibles.

Cela dit, maîtriser les facteurs de stress de la sorte n’est pas suffisante, il faut aussi connaitre le joueur qui se trouve de l’autre côté de l’écran.

Posté par Cornelia le 2009-03-14. Dernière mise à jour le 2020-07-09

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